A.B. Écrits.com, quelques ratures et mots plus tard...

L'ultime volonté humaine...

Cette nuit là, Albert Denis écrivait à son bureau, à la faible lueur d'une lampe de couleur néon gris orageux, qui ne laissait pas de faire souffrir ses yeux à l'acuité de perception grandement réduite par la cataracte. Il saisit son mouchoir de soie blanc entre deux phrases qu'il était en train d'écrire, débouchant bruyamment son nez tâché de vieillesse, pour être pris l'instant d'après d'une toux saccadée et douloureuse qui se prolongea pendant une bonne minute, laissant le fin tissu immaculé souillé de crachats sanglants.

Sur une feuille de papier bloc de la dernière qualité, il apposait fièvreusement sa nerveuse et fine écriture en pattes de mouche, à la calligraphie empreinte de mépris envers l'actuelle conception humaine de l'existence.

« Le présent acte que je rédige en cette heure de ma main de vieillard désormais devenu inutile à une société pitoyable et puante d'inhumanité et de corruption, est mon testament. A quoi bon vivre il est vrai plus longuement, au regard de mon âge et de l’odeur de vieille mort qui me pique constamment les narines, flottant dans les moindres recoins des lieux où l'homme a imposé sa domination ? Une vague de souffrance indicible parvient presque à me renverser à l'idée que cette odeur putride et mortelle demeure trop légère pour être décelée par de pauvres bougres subissant lourdement les contraintes matérielles de l'existence, incapables de relever l'échine, contraints toute leur vie sous l'emprise de leur maître respectif de garnir sa caverne de trésors toujours nombreux et somptueux. Un Gardien de trésors qui cultive l'irresponsabilité, nouant les ailes naissantes de la vertu de ses membres, qui eux, n'aspirent qu'à suivre inlassablement les courants aériens. Hélas, pour mon malheur, ma souffrance et ma colère, elles tombent aussi sûrement que des testicules maintenus trop longtemps par un élastique, mortes et desséchées.

« Alors même que conscient du peu de considération portée aux personnes de la catégorie d'âge qui est la mienne, parce que devenues des instruments de production peu rentables, j'ose espérer, bien naïvement j'en conviens, qu'à ma requête sera apportée toute l'attention qui lui est due, étant l'expression de la dernière volonté d'un être humain, comme pour mon désespoir il n'y en a plus désormais que peu, encore pourvu d'une étincelle d'humanité. Et dussé-je vivre pour l'éternité dans ces états physiques et intellectuels déchéants , je ne céderais pour rien au monde cette richesse qui fait de moi un être doué de compassion à l'égard de ses semblables, aux ténèbres de ma bestialité corrompue, fusse même pour atteindre la paix de l'âme.

« Conscient de surcroît de l'appréhension que les dirigeants ont de leur fonction – celle d'un fardeau certainement plus lourd dans leur esprit que celui supporté par Sisyphe – je ne puis néanmoins leur pardonner d'être faibles et oublieux de leurs origines et des préceptes fondateurs de la société dont ils ont la charge, de par la force du contrat social qui les lie au peuple, et ose encore une fois espérer que mes dernières volontés seront exécutées dans les faits et l'ampleur qu'elles impliquent.

« Considérant de plus que les instances dirigeantes de ce pays et du monde dans son ensemble conduisent précisément l'humanité à son extinction, et j'ajoute sans aucune gloire ni esthétique ; considérant également que ces mêmes instances semblent désirer ce désastre avec autant de ferveur, signe d'une dégénérescence profonde et irréversible chez ces représentants, je demande solennellement à être brûlé vif, avec toute forme de biens juridiquement en ma possession ; et ceci effectué publiquement et devant témoins obligés, comme symbole de l'avenir du globe ou plutôt de l'espèce humaine, que ces êtres pseudo-conscients lui réservent, de par leur méconnaissance flagrante et incontestable de la nature humaine, étant dans le cadre de cette dernière décennie du vingtième siècle, aussi intègres que visionnaires politiques, et desquels je ne puis plus tolérer les actes, actes passibles à mon sens de peine terminale, ou de travaux forcés à perpétuité, pour non assistance consciente et volontaire à humanité en danger. »

« Je mourrai en cette nuit du vingt-trois pluviôse de l’an 205 du calendrier révolutionnaire , car tel est mon désir, motivé et conditionné par le mépris et la haine froide que je nourris envers les politiques meurtriers et immoraux de cette fin de siècle, avec une intensité encore plus grande, j'en ai la conviction, que celle que devaient éprouver les sans-culottes à l'égard de Louis Capet seizième du nom.

« Que cet épitaphe soit gravée sur le marbre froid de ma tombe, à seule fin d'embraser les ardeurs du peuple, après deux siècles, à l'aube du troisième millénaire, et à la fin de l'état de Grâce : « Ô Jean-Jacques, ô Saint-Just, ô vous tous, puissiez-vous vous réveiller en entendant mes suppliques, portées par le souffle de la musique qui emplit la pièce, alors que j'écris ces derniers mots désespérément prononcés par un homme expirant, je vous l'ordonne... »

Domine Jesu Christe, rex gloriae Libera animas omnium fidelium defunctorum de poenis inferni et de profundo lacu Mis à jour le 10-04-25